La Misbour
Il était une fois …
un endroit en Forêt d’Anlier appelé tantôt « La Misbour », « La Vieille Eglise » ou encore « Le Vieux Moustier »; un endroit mythique et mystérieux, un endroit qui stimule l’imagination…
Il était également une fois un groupe de gens, passionnés par l’histoire locale, un groupe de gens avec de l’imagination qui n’attendait qu’à être stimulée.
Quand les deux se sont rencontrés, une belle histoire a commencé. Celle-ci dure toujours d’ailleurs et en fait la continuation d’une épopée qui dure depuis tellement de siècles déjà que les débuts se sont perdus…
A partir d’avril 1997 et jusqu’en 2001, le CHAHS assisté par le service des fouilles d’Arlon à savoir Philippe Mignot, Denis Henrotay et Dominique Bossicard ont entrepris de remettre à jour les fondations de la Vieille Eglise.
Mais que savons-nous de ce lieu énigmatique en pleine forêt?
En réalité, pas grand-chose…
Le premier qui nous parle de la Vieille Eglise est l’abbé Clesse, dans les Annales de l’Institut Archéologique du Luxembourg (AIAL) en 1856.
Ensuite, 15 ans plus tard, vers 1871, le curé de Strainchamps, l’abbé Césaire Sulbout se rend sur place et trouve encore des pans de murs entre 60cm et 2m de haut. Il entame des fouilles qu’il décrit dans les AIAL de 1877.
On pourrait s’étendre longuement sur ses descriptions et en faire la critique, comme pour la forme trapézoïdale du chœur qui ne s’est pas confirmée par les fouilles récentes mais cela nous mènerait trop loin.
Hartmut Müller, dans sa dissertation doctorale sur les décanats wallons de l’archevêché de Trèves, soutenue en 1966 à l’université de Marburg, dit notamment :
« Im nordöstlichen Teil der Pfarrei (= Anlier) ist im Forêt d’Anlier eine frühchristliche Kirche entdeckt worden, die auf römischen Bauresten entstanden war und dem Raum um Anlier als erstes Seelsorgezentrum gedient hatte[1] ».
Il la date du 4ème siècle, se référant à Sulbout et fait le lien avec les tumuli dans les environs : « Die heidnischen Friedhöfe der Umgebung lassen auf eine Missionskirche schließen, die zur Christianisierung der keltisch-heidnischen Urbevölkerung erbaut worden war[2]. »
Cela reste bien entendu une théorie qui n’a jusqu’à présent pas été corroborée par l’archéologie ni encore moins par les archives mais nous y reviendrons…
Sulbout mentionne également une foire annuelle à la Saint-Fiacre c’est-à-dire le 30 août, qui s’étalait sur plusieurs jours et dite « aux bizeux » et dont on ne trouve trace qu’après son déplacement en forêt de Rulles en 1659 ;
Le hasard veut que ce soit cette année que fut signé le traité des Pyrénées par lequel la France annexait de grandes parties du duché de Luxembourg.
Et il y aurait également eu un ermite qui n’a pas plus laissé de traces dans les archives que l’église ou la foire et que Victor Balter ne reprend même pas dans son inventaire des ermitages du duché de Luxembourg.
La destruction de l’église est tout aussi énigmatique que son origine.
Sulbout en soupçonne les Huns au 5ème siècle, Müller envisage également la possibilité des Normands au 9ème siècle.
Personnellement, je pense que ce sont plutôt les armées de l’empire austro-hongrois qui pourraient en être responsable.
On se souviendra de la tragédie que Meix-devant-Virton vécut le 11 juin 1636 quand un détachement croate incendiait 127 maisons sur 129 et que 567 personnes périrent dans l’église ou encore le drame de la Corne du Bois des Pendus la même année.
Mais que nous apprennent les archives?
En fait, la seule pièce connue qui pourrait référer à notre Vieille Eglise est une lettre dimissoire, adressée par Theutgaud, archevêque de Trèves à Francon, évêque de Liège, en 858, confirmant la nomination de Hildradus comme recteur des 2 églises de Wilitreio.
S’il s’agit bien ici du village de Witry, qui est à 5 km et donc le plus proche de la Vieille Eglise, cette lettre prouverait que l’église existait bien encore au milieu du 9ème siècle (donc après le passage des Huns), voire qu’elle existait déjà bien avant le 11ème siècle où elle est datée par les archéologues.
On ne peut que s’étonner que les archives ne nous aient pas dévoilé les noms de ses successeurs jusqu’en 1659.
Aucun nom de recteur ou d’ermite, aucune trace de dîme ou autre moyen de financement, les dénombreurs ne sont passés par là…
Et pourtant les archives ont été fouillées avec minutie par des érudits comme Victor Balter et Arsène Geubel, Manfred Van Rey et Hartmut Müller, sans oublier Despy, Deblon, Brassinne, Guilleaume et j’en passe… mais personne n’a trouvé jusqu’ici de trace ni de l’église, ni de l’ermitage, ni de la foire entre 858 et 1659.
Un lieu de culte, annexe d’une foire annuelle, qui ne laissa aucune trace pendant 8 siècles…
ll est, à mon humble avis, alarmant d’un point de vue scientifique que tout le monde « sache » que cette foire s’est tenue à la Misbour depuis la plus haute antiquité mais que personne ne cite aucune autre source que Sulbout.
Or, lui-même affirme seulement que « suivant la tradition, la foire dite aux bizeux se tenait sur la plage ci-dessus décrite ».
On serait presque amené à croire que l’histoire de l’ermitage et de la foire aux bizeux ne débute qu’en 1659, avec son déplacement.
Avant cette date… rien !
Comme l’écrivait le professeur J-M. Yante: « La rareté des sources convie, autant que faire se peut, à croiser les données textuelles et celles de l’archéologie. »
Nous ne pouvons que soutenir cet appel implicite à reprendre les sondages et fouilles sur le site (l’aire supposée de la foire, les tumulus des environs, …) et la datation des précédentes trouvailles (le mortier du fond des substructions, le squelette du « jeune homme gracile », …).
C’est notre seule chance d’en apprendre davantage sur l’origine, l’histoire et la fin de cette mystérieuse Vieille Eglise.
Les 8 & 9 septembre 2018 ont eu lieu une activité de mise en valeur de la forêt d’Anlier, avec la Misbour comme point focal.
Pour le CHAHS, Roger Kauffmann